Relations commerciales – actualités (newletter ANIA)

SAVE THE DATE :

Mercredi 29 octobre : l’ANIA recevra en format mixte (physique +  visioconférence), les équipes de la direction générale et des achats de l’alliance AURA

 

SOMMAIRE :

  1. LSA // Centrales d’achats européennes : ces trois superstructures qui redéfinissent les règles du jeu  
  2. [Exclusif] Le patron d’Everest et d’Epic, Gianluigi Ferrari, s’insurge contre les fantasmes autour des eurocentrales
  3.  LSA // « Les agriculteurs méritent d’obtenir un prix équitable » : Christophe Hansen, commissaire européen à l’agriculture, répond à LSA

 

  1. LSA / Centrales d’achats européennes : ces trois superstructures qui redéfinissent les règles du jeu

Poussé par les mouvements de concentration en France, le paysage des eurocentrales se redessine autour de trois nouveaux géants. Au grand dam des industriels qui agitent le chiffon rouge. Enquête.

 

Aura, Vasco International Trading, Concordis sont les trois nouveaux acteurs aux achats européens.

 

« Le meilleur des deux mondes. » C’est ainsi qu’Alexandre de Palmas, directeur exécutif France de Carrefour, invité au 24e Congrès des stratégies commerciales de LSA le 1er octobre, définit Concordis. Concordis ? La dernière des supercentrales européennes créées par les PDG de Carrefour et de Coopérative U le 7 juillet, rejoints mi-août par Michael Kutz, le patron de RTG International, ou Retail Trade Group, qui réunit des enseignes comme Netto, Tegut ou Globus en Allemagne.

 

Le fait que le premier allié soit allemand n’est pas un hasard : les distributeurs français cherchent à rattraper l’écart de prix avec ce voisin dont les étiquettes affichent des prix plus bas. « Nous sommes les premiers sur le marché français [avec une part de marché cumulée de plus de 34 %, NDLR], tout en bénéficiant des apports européens, poursuit Alexandre de Palmas. C’est une alliance prometteuse et très intéressante. »

 

En scellant leur remariage – Carrefour et Coopérative U ont déjà été liés dans la centrale Envergure –, Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, et Dominique Schelcher, son homologue de U, se seraient fixé 3 points de gains aux achats. « Ce n’est pas rien, note un consultant. Habituellement, un distributeur peut espérer 1 à 2 points d’amélioration de ses conditions tarifaires en doublant sa taille aux achats. »

 

« Attention, tempère Michel-Édouard LeclercC’est plus difficile de s’allier à un concurrent sur un même marché. » Le président du comité stratégique des centres E. Leclerc est bien placé pour le savoir : il est associé aux achats dans Eurelec avec Rewe (encore un allemand) et Ahold Delhaize, mais aussi allié pour négocier des services dans ­Coopernic et pour les datas dans Coopelec… « Nous allons chercher des alliances dans les pays où nous ne sommes pas », conclut-il. 

 

L’écheveau des alliances européennes : 

Les trois nouveaux acteurs

Aura

Aura, centrale d’achats française créée par Intermarché, Auchan et Casino en avril 2024. À elles trois, ces enseignes pèsent près de 30 % du marché français pour les produits de grande consommation. Elles vont massifier leurs achats avec 200 gros fournisseurs et négocier avec 500 marques nationales.

 

Vasco International Trading

Vasco International Trading, fondée en avril 2025 et basée à Amsterdam, réunit Colruyt, Coop Suisse et Superunie. Elle gérera le triple net. Cela ne remet pas en cause l’adhésion de Colruyt et de Coop Suisse à la centrale Agecore, qui rassemble aussi l’italien Conad, le portugais Eroski et l’allemand Kaufland.

 

Concordis

Concordis, créée par Carrefour et Coopérative U, a vu le jour le 7 juillet 2025. Rejointe depuis par un conglomérat d’indépendants allemand RTG International, l’alliance va porter sur le triple net afin d’obtenir des socles tarifaires, mais aussi surle « on top », qui vise à proposer d’éventuelles prestations de services supplémentaires contre rétribution.

Un code de conduite fixé

Cela posé, qu’apporte Concordis de nouveau dans le paysage bien chargé des eurocentrales, comme le montre notre carte ci-contre ? Déjà, le vocable est différent. Concordis se veut une alliance, et non une centrale, basée à Bruxelles, qui négocie la dérive. Elle s’appuie sur deux bras : Eureca, installée à Madrid depuis trois ans, négociera les prix d’achats (le trois fois net), et CWT (Carrefour World Trade), le « on top » ou les accords commerciaux. Le code de conduite et les objectifs seront décidés par Concordis. « Nous respecterons au maximum les engagements des enseignes », assure Alexandre de Palmas.

 

« Nous sommes pour le respect de la date butoir et la sanctuarisation de la matière première agricole sur certains produits », ajoute Dominique Schelcher, promettant des annonces dans les prochaines semaines. Concordis n’est pas la seule à faire bouger les lignes. En l’espace d’un an, Intermarché, Auchan et Casino se sont alliés au sein d’Aura Retail, cumulant près de 30 % de part de marché en France. Et ils ont adhéré, via Aura, à Everest et Epic, dirigées par Gianluigi Ferrari, connu comme le grand ordonnateur des euro­centrales.

 

En avril, trois autres distributeurs (Colruyt, Superunie et Coop Suisse) ont annoncé la création de Vasco International Trading, dont la mission est de négocier les achats des produits auprès des multi­nationales. Comme Concordis, elles poursuivent toutes le même objectif : « Comparer les produits entre différents pays et comprendre pourquoi il y a des écarts de prix », pour paraphraser Gwenn Van Ooteghem, directeur général d’Intermarché et de Netto, et obtenir ainsi les meilleures conditions auprès des 40 à 50 multi­nationales avec lesquelles elles négocient.

Sous le feu des critiques

La déferlante du discount à la manière d’Action ou de Normal et l’offensive des plates-formes chinoises ne sont pas pour rien dans ce regain des eurocentrales. « Les distributeurs français luttent pour leur survie et n’ont pas envie de terminer comme Cora ou Casino, explique une experte du secteur. Avec ces centrales, ils espèrent aller chercher les écarts de prix sur les produits des multi­nationales avec lesquels ils réalisent les deux tiers de leur chiffre d’affaires PGC. »

 

Pour certains, c’est même vital de s’adosser à une eurocentrale. « Nous ne partageons pas nos contrats avec Intermarché et Auchan, mais nos conditions se sont améliorées depuis que nous achetons au sein d’Aura », se félicite Philippe Palazzi, directeur général de Casino. Il compte même s’appuyer dans quelques mois sur l’outil industriel d’Intermarché pour fabriquer certaines de ses MDD et bénéficier de la mutualisation. Mais Casino continuera d’acheter avec AMC (Achats Marchandises Casino), en France, tous les produits fabriqués par les ETI et PME (1 400 au total), assure le groupe.

 

Les chiffres clés

  • 40 à 50 : le nombre de multinationales qui traitent avec les eurocentrales
  • 40 à 50 % de leur CA PGC sont négociés avec ces eurocentrales

La taille et le type d’entreprises qui passent à la moulinette des eurocentrales font en effet partie des nombreux griefs exprimés par les industriels et repris par les politiques depuis quelques mois. En un an, le nombre de rapports sur une éventuelle refonte d’Egalim égale celui des nouvelles eurocentrales ! « Il n’y a aucune liste publique des entreprises avec lesquelles elles négocient, déplore Nicolas Facon, PDG de l’Ilec. Elles n’offrent pas de débouchés supplémentaires pour des produits fabriqués en France et qui ne quittent pas le territoire national. » « Des fantasmes, balaie Gwenn Van Ooteghem. Pour les différentes typologies d’industriels, 15 000 à 20 000 en dehors des multinationales, il y a des organisations en face. Les TPE-PME sont toutes traitées à Massy et ne font pas l’objet de massification avec Auchan et Casino. »

 

Les ETI, elles, sont reçues par des acheteurs communs aux trois enseignes, et les multi­nationales sont traitées par Everest, qui achète aussi pour le leader allemand Edeka, Picnic et Jumbo. « Arrêtons d’être naïfs, objecte Dominique Chargé, président de La Coopération agricole. Ces centrales manquent de clarté et de transparence et exposent tout le monde à une baisse des prix. » Des outils d’optimisation fiscale ? « L’ensemble des conditions commerciales négociées avec Everest redescend en France », rétorque Gwenn Van Ooteghem.

Opaques ? « Cela fait un an et demi que nous faisons des tournées dans les administrations françaises pour expliquer comment ça fonctionne. » Échappent-elles au droit français ? « Pour un distributeur, céder ses achats, c’est contre-intuitif. Pour bien vendre, il faut bien acheter. Nous sommes obligés de nous rassembler pour rééquilibrer un rapport de force, mais nous appliquons Egalim », poursuit-il. Cela reste impossible à prouver, font remarquer les détracteurs de ces centrales.

 

Proconcurrentielles et proconsuméristes pour les distributeurs, à la limite de la légalité pour les industriels, ces centrales d’achats européennes vont-elles pouvoir jouer leur rôle dans un contexte explosif ? Thibaud Vergé, vice-président de l’Autorité de la concurrence, prévient. « Nous continuerons à être vigilants. Trois centrales couvrent 90 % des achats en France. Aucune étude n’a regardé dans quelle mesure des baisses de prix ont été obtenues. » Les radars de l’Autorité pourraient bien s’allumer, n’en déplaise aux défenseurs des eurocentrales qui plaident régulièrement leur cause.

 

 

  1. [Exclusif] Le patron d’Everest et d’Epic, Gianluigi Ferrari, s’insurge contre les fantasmes autour des eurocentrales

 

Alors que les industriels tirent à boulets rouges sur les eurocentrales et que les politiques s’en inquiètent, Gianluigi Ferrari mène une forme d’opération déminage. Le PDG de la centrale d’achats Everest basée à Amsterdam et de la centrale de services Epic installée à Genève a accordé une interview rare à LSA. 

 

Gianluigi Ferrari PDG d’Everest (Edeka, Picnic, Jumbo et Aura) et d’Epic (Edeka, Picnic, Jeronimo Martins, Migros et Aura) : « Il ne faut pas se mentir, il y a des intérêts divergents. Nous souhaitons préserver nos intérêts et les industriels aussi. Entre les deux, il y a les tarifs. »

La seule évocation de son nom fait frémir distributeurs et industriels. Gianluigi Ferrari passe pour un Machiavel de la négociation commerciale. L’Italien, diplômé en économie de l’université de Florence, pourrait d’ailleurs faire sienne la maxime de l’auteur du XVIe siècle dans son traité Le Prince : « Il faut être un renard pour déjouer les pièges et un lion pour effrayer les loups. » Face aux multinationales avec lesquelles les centrales Everest et Epic, qu’il dirige, négocient, il faut l’être. Celui qui reconnaît « ne pas être très aimé, ni très politiquement correct » se dit « adoré pour les résultats ». Il doit effectivement l’être tant il semble incontournable dans le cénacle très restreint des dirigeants d’eurocentrales où il fait la pluie et le beau temps depuis vingt ans.

Depuis 2021, il a rejoint Everest, centrale d’achats installée à Amsterdam, qui rassemble Edeka, Picnic, Jumbo et Aura (Intermarché, Auchan et Casino), tout en dirigeant Epic, son pendant pour les services, sur les bords du lac Léman, où il réside. Sur les dix-huit derniers mois, il s’est séparé du suédois ICA, du français Coopérative U et de l’italien Esselunga, pourtant une enseigne qu’il admire et où il a débuté en 1991. Mais pour Gianluigi Ferrari, la clé d’une eurocentrale qui fonctionne c’est que « tous les chevaux du char courent à la même vitesse et dans la même direction ». Et le niveau est, selon lui, plutôt très élevé.

Voilà plus de trente ans que Gianluigi Ferrari travaille dans l’ombre des distributeurs. Il a commencé chez Esselunga, avant de rejoindre Metro, puis Barilla comme patron du commerce monde jusqu’à ce que, en 2005, Stéphane de Prunelé, secrétaire général d’E. Leclerc, l’éminence grise de Michel-Édouard Leclerc, ne l’appelle pour créer la centrale Coopernic. L’histoire s’est mal terminée, comme souvent dans ces superstructures, et Gianluigi Ferrari est parti pour bâtir Core et convaincre Edeka, Intermarché et Eroski de le rejoindre. Agecore était née.

Tout aussi redouté que discret, l’incontournable Gianluigi Ferrari a accordé une interview exclusive et rarissime à LSA lors de son passage à Paris, où il est venu défendre l’intérêt (et l’intégrité) des eurocentrales auprès des députés (il a rencontré Richard Ramos, Julien Dive, Marc Fesneau ou Guillaume Kasbarian), des membres du cabinet du Premier ministre, de la DGCCRF… Il nous livre sa vision des eurocentrales qu’il estime très loin d’être ces boîtes noires aux méthodes redoutables et discutables auxquelles elles sont souvent assimilées.

 

LSA – Cela fait vingt ans que vous travaillez pour les centrales d’achats européennes. Quelles sont les règles pour que cela fonctionne?

 

Gianluigi Ferrari – Dans toutes les coentreprises que j’ai créées, j’ai toujours appliqué une règle fondamentale : tous les partenaires doivent avancer à la même vitesse et dans la même direction. Dans notre société, c’est capital d’avoir une discipline collective forte et une solidarité dans les décisions. C’est pour ces raisons que la gouvernance est aussi très claire.

Chaque partenaire doit avoir la même quote-part au sein du conseil d’administration, quelle que soit sa taille. Chacun a le même droit de vote. Les CEO ou PDG de chaque entreprise doivent siéger au conseil d’administration. C’est une spécificité fondamentale, les décisions doivent être prises par le plus haut niveau de chaque entreprise.

C’est ma personnalité, j’aime connaître personnellement tous les grands patrons des enseignes de distribution, comme Thierry Cotillard (Les Mousquetaires), Markus Mosa (Edeka), Mario Irminger (Migros), Alain Caparros (ex-PDG de Rewe) ou encore Michel-Édouard Leclerc… Nouer des liens permet de faire respecter les décisions et, surtout, d’aller vite.

 

Son parcours :

  • 1991 Entre chez Esselunga comme acheteur
  • 1996-2000 Directeur marketing chez Metro
  • 2001-2006 Directeur commercial chez Barilla
  • 2006 Il fonde Coopernic, centrale d’achats et de services pour E. Leclerc et Rewe
  • 2014 Il crée Core (Coop Suisse, Conad, Colruyt et Rewe)
  • 2016 Fondation d’Agecore, résultat de Core et d’Agenor (Edeka, Intermarché et Eroski), qu’il installe à Genève
  • 2021 Il prend la tête d’Everest et d’Epic

Les centrales d’achats européennes véhiculent une image négative en France. Pourquoi sont-elles toutes installées à Bruxelles, Genève, Amsterdam ou au Luxembourg ?

 

G.F – Nous sommes localisés au sein de villes européennes comme la plupart des multinationales avec lesquelles nous négocions [une cinquantaine, NDLR]. C’est avant tout une question de praticité et de langue. Quand j’ai créé Everest, l’alliance ne comprenait pas de distributeurs français mais uniquement hollandais et allemands, nous avons donc choisi de nous localiser à Amsterdam. C’est une ville centrale en Europe et très bien desservie.

Ce ne sont pas des boîtes noires mais un groupe à l’achat qui s’appuie sur le fondement de notre modèle européen : le marché unique.

 

Gianluigi Ferrari, PDG d’Everest et d’Epic

Quand j’entends des attaques sur le volet fiscal, c’est purement du fantasme. Les gains à l’achat par Everest ou Epic sont reversés intégralement aux distributeurs. Il n’y a aucune optimisation fiscale en raison des règles qui nous imposent de payer 100 % des impôts dans les pays d’origine. Tous les flux sont transparents vis-à-vis des administrations. Les distributeurs français payent donc leurs impôts en France, même sur ce qui est négocié en Europe. Affirmer le contraire relève de la désinformation.

 

Quels types de services vend Epic ?

G.F. – Ceux qui apportent de la valeur ajoutée pour les industriels. Contrairement à ce que j’entends, il s’agit de véritables services comme des mises en avant ou des promotions de leurs produits. Ils s’ajoutent aux négociations nationales, en « on top » et permettent d’avoir un impact sur plusieurs pays. Chaque service est facturé uniquement quand il est effectué dans tous les pays et à la demande de l’industriel. C’est parfaitement transparent. Tout est négocié et partagé dans des documents clairs avec nos fournisseurs.

 

On reproche aux eurocentrales leur opacité…

G.F. – C’est tellement opaque que je suis devant vous et que je rencontre toutes les personnes qui ont des questions sur les centrales comme les députés, les pouvoirs publics, les syndicats, les parlementaires de tous les pays dans lesquels nous faisons du business… Ce ne sont pas des boîtes noires, mais un groupe à l’achat qui s’appuie sur le fondement de notre modèle européen : le marché unique. Nous avons un seul objectif, rééquilibrer le rapport de force face à des grandes multinationales toujours plus concentrées et beaucoup plus puissantes que les distributeurs.

Elles sont peu nombreuses, ont de très bons résultats économiques et représentent une partie importante de nos chiffres d’affaires. Chacune d’entre elles a un pouvoir de marché dominant dans sa catégorie de produits. Notre objectif est d’obtenir les prix justes pour le consommateur. Notre centrale ne négocie qu’avec des grandes multinationales, il n’y a aucune entreprise intermédiaire, aucune TPE/PME, aucune coopérative française, et nous n’avons pas l’intention de les y inclure.

Chaque service est facturé uniquement quand il est effectué dans tous les pays et à la demande de l’industriel.

Gianluigi Ferrari, PDG d’Everest et d’Epic

C’est ça notre ligne de conduite : des gros acteurs face à des gros acteurs. Malheureusement, les lobbies des grands industriels français utilisent le principe de discernement envers les TPE/PME ou le monde agricole pour préserver la profitabilité des grosses multinationales. C’est la réalité. J’espère que les pouvoirs publics comme l’opinion publique comprendront la façon dont les choses sont biaisées.

Certains vous reprochent de bloquer les accords nationaux si les fournisseurs n’en concluent pas un avec Epic…

 

G.F. – C’est faux. Ce sont deux sociétés différentes et dissociées. Epic a son propre planning de négociations. On signe régulièrement des accords nationaux avant Epic. Certains industriels acceptent d’ailleurs de travailler avec Epic mais pas avec Everest.

Il paraît que vous avez un code de conduite pour chacun des membres d’Everest ?

 

G.F.- Notre code de conduite est lié aux règles de concurrence. Par exemple, si nous décidons d’arrêter les commandes avec un fournisseur, nous respectons un code de conduite validé par notre avocat et partagé avec les autorités. En vingt ans, je n’ai jamais eu le moindre problème avec les autorités. Quand je viens en France, je présente tous les documents à l’Autorité de la concurrence et à la DGCCRF. Je n’ai rien à cacher, en France comme dans tous les autres pays européens.

Et, aujourd’hui, est-ce que votre équipe est complète ? Êtes-vous content de tous vos associés ?

 

G.F. – Je ne suis jamais assez content ! Nous avons à nos côtés des distributeurs importants dans leurs pays et qui partagent notre vision. J’adore travailler avec les indépendants, cela a été un point commun à toutes mes expériences. Dans notre coentreprise, l’important c’est d’avoir une discipline et une solidarité dans toutes nos négociations, et au-delà.

Quand j’entends des attaques sur le volet fiscal, c’est purement du fantasme. Les gains à l’achat par Everest ou Epic sont reversés intégralement aux distributeurs.

Gianluigi Ferrari, PDG d’Everest et d’Epic

Quel poids Everest pèse-t-elle ? On parle de 140 milliards d’euros si on additionne les chiffres d’affaires de tous les actionnaires…

 

G.F. – Je ne raisonne pas de cette manière. Nous avons le numéro un allemand (Edeka), le numéro trois français (Intermarché), mais avec Auchan et Casino, cela donne le numéro un. La majeure partie de notre business est franco-allemand.

 

On entend aussi souvent dire que les centrales européennes font gagner beaucoup d’argent aux distributeurs sur le dos des industriels.

 

G.F. – Il ne faut pas oublier qu’on parle de multinationales qui ne connaissent que le rapport de force. Everest et Epic ne dégagent pas de résultat. Les gains à l’achat que nous obtenons bénéficient directement aux enseignes, Picnic, Intermarché, Edeka, etc. Elles s’en servent essentiellement pour bien se positionner en prix, ce qu’a reconnu la Direction générale de la concurrence de la Commission européennelors de son enquête close en 2023.

Si vous regardez la rentabilité des distributeurs depuis quinze ans, elle ne progresse pas. Et l’argent qu’ils gagnent est utilisé dans la lutte contre l’inflation, dans la logistique et la rénovation des magasins. Si vous faites le même exercice avec les vingt premières multinationales, leur niveau de résultat progresse régulièrement et est bien supérieur, de l’ordre de 15 à 20%, alors qu’il est de 2 à 3% pour les distributeurs. Certains retailers ont même connu la faillite, et d’autres pourraient se trouver dans la même situation prochainement. En France, ce sujet est instrumentalisé, ce n’est pas le cas dans les autres pays d’Europe.

Les politiques français estiment que les eurocentrales ne respectent pas le droit français, en particulier Egalim.

 

G.F. – Nous sommes une entreprise néerlandaise et nous travaillons avec le droit néerlandais, tout comme une entreprise française travaille avec le droit français. Mais lorsque nous négocions avec un fournisseur comme Unileverpar exemple, nous le faisons pays par pays, car le groupe est organisé pays par pays. À la fin, le contrat est rédigé sur la base du droit néerlandais avec une annexe pour la France, pour l’Allemagne et pour les Pays-Bas.

Dans l’annexe française, nous reprenons tous les points de la loi Egalim, et même la DGCCRF reconnaît la conformité de nos contrats. Je respecte les lois nationales et déteste les amendes. Everest comme toutes les entreprises que j’ai gérées n’ont jamais eu la moindre amende.

 

Certains industriels proposent que les produits à forte composante agricole soient négociés en France pour que le prix de la matière première agricole (MPA) soit respecté.

G.F. – Je n’ai aucun problème à appliquer la sanctuarisation de la matière première agricole. Les producteurs et éleveurs sont essentiels dans nos activités. Il suffit que la multinationale nous indique clairement sa part et son montant. Après, 85 % des fournisseurs qui travaillent avec Everest ne jouent pas la transparence et se cachent derrière l’option 3 de la loi française Egalim. Finalement, on ne sait pas ce qu’ils payent aux agriculteurs…

Everest respecte-t-elle aussi la date butoir ?

G.F.- Oui, même si c’est franchement très compliqué. En travaillant en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, les lois sont différentes sur le même sujet. En droit néerlandais ou en droit allemand, il n’y a pas de date butoir. Les industriels et distributeurs peuvent négocier quand ils le veulent, une fois dans l’année, souvent en fonction de l’agenda commercial ou fiscal de l’industriel. C’est une exception française, qui met une tension inefficace sur les négociations. Tout est concentré sur une courte période sans discussion de fond. Or, notre métier est de négocier, de comprendre, d’échanger avec un fournisseur et, pour ça, il faut du temps. Là encore, le travail des lobbyistes des industriels a été formidable. Avec la date butoir, les distributeurs qui ne signent pas le contrat dans les délais sont sanctionnés. C’est encore un avantage en faveur des fournisseurs.

En droit néerlandais ou en droit allemand, il n’y a pas de date butoir. C’est une exception française, qui met une tension inefficace sur les négociations.

Gianluigi Ferrari, PDG d’Everest et d’Epic

 

Comment faites-vous alors ?

G.F. – Nous essayons d’anticiper en demandant aux fournisseurs les conditions générales de vente et les prix dès septembre, ce qui nous laisse un semestre de plus pour négocier. Mais l’idéal serait de pouvoir négocier quand on le souhaite dans l’année. C’est une question de planification.

Il y a des catégories de produits pour lesquelles il serait mieux de négocier après la période de récolte, ou pendant les périodes de consommation, plutôt que de tout conclure au 1er mars. Pour un acheteur, devoir gérer plus de 50 fournisseurs dans les dernières semaines avant le 1er mars, c’est impossible. Il devient fou : il ne peut pas formaliser 50 rendez-vous par jour. Il faut changer ce système.

Vous êtes souvent critiqué pour vos méthodes auprès des industriels, notamment le 30-60-90. Quand vous n’obtenez pas satisfaction, vous enlevez 30 % de marchandise dans le contrat, puis 60 % s’il y a un autre blocage et ainsi de suite.

 

G.F. – Je déteste la négociation à la Marrakech ! Je demande aux fournisseurs des échanges constructifs et de trouver un accord dans un délai de quatre à six semaines. Si nous n’arrivons pas à nous entendre, nous faisons des choix commerciaux différents. Depuis le Covid, la grande majorité des conflits porte sur des arrêts de livraisons par les industriels, et pas seulement sur des arrêts de commandes.

 

Y a-t-il plus de conflits aujourd’hui qu’avant ?

G.F. – Non, mais les négociations commerciales sont de plus en plus dramatisées en France. Après, il ne faut pas se mentir, il y a des intérêts divergents. Nous souhaitons préserver nos intérêts et les industriels aussi. Entre les deux, il y a les tarifs.

 

 

  1. LSA // « Les agriculteurs méritent d’obtenir un prix équitable » : Christophe Hansen, commissaire européen à l’agriculture, répond à LSA

 

Après l’homme des alliances, place à celui qui les observe de près. Quelques jours après notre entretien exclusif avec Gianluigi Ferrari, patron d’Everest et d’Epic, LSA a interrogé Christophe Hansen, commissaire européen à l’Agriculture et à l’Agroalimentaire. Le Luxembourgeois, chargé de la révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et du suivi des eurocentrales, détaille sa feuille de route pour un marché plus équitable entre distributeurs, industriels et agriculteurs.

 

Les cinq points à retenir de l’interview : 

  1. Une nouvelle étude européenne sur les alliances de distributeurs attendue pour 2026
  2. Vers une révision renforcée de la directive sur les pratiques commerciales déloyales
  3. Un calendrier assumé pour éviter une réforme précipitée
  4. Un dialogue élargi avec l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire
  5. Pas d’extension de la directive PCD au-delà de l’agroalimentaire

 

LSA – Où en est l’étude sur l’impact des alliances européennes de distributeurs du Centre commun de recherche, annoncée après la crise agricole de 2023-2024 et dont les résultats étaient initialement attendus fin 2024 ?

Christophe Hansen – Suite aux manifestations d’agriculteurs à travers l’Europe en 2023–2024, la Commission européenne a décidé de mettre à jour son rapport de 2020 sur les alliances de distributeurs, qui est disponible en ligne et disponible publiquement. Ce travail est actuellement en cours. Afin de disposer d’une base factuelle solide, nous avons lancé une nouvelle étude, qui sera complétée par un groupe de travail réunissant toutes les parties prenantes dès décembre 2025. Cette mise à jour vise à examiner les évolutions récentes de la position des alliances sur le marché en se concentrant sur leur interaction avec les agriculteurs, les organisations de producteurs et plus largement avec les petits et moyens fournisseurs dans la chaine d’approvisionnement alimentaire. Nous partagerons bien sûr les résultats dès que les travaux seront terminés, au cours de l’année 2026.

 

LSA – Pourquoi la Commission a-t-elle décidé dès l’été 2025 de réviser la directive sur les pratiques commerciales déloyales, avec une entrée en vigueur seulement en 2026 ?

CH – Les agriculteurs méritent d’obtenir un prix équitable pour leurs produits. Nous sommes en train de terminer la première évaluation de nos règles contre les pratiques commerciales déloyales, qui sont en vigueur depuis 2021. Cette évaluation nous a permis de mieux comprendre ce qui fonctionne, les leçons à tirer, mais aussi les difficultés auxquelles les agriculteurs continuent à faire face. Les résultats seront publiés en novembre 2025, donc très prochainement. Il était donc opportun de commencer à regarder vers l’avenir et de penser à l’après. L’évaluation sera une bonne base pour commencer à travailler sur la possible révision de nos règles. La Présidente von der Leyen l’a rappelé dans son discours sur l’état de l’Union le mois dernier : nous devons renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne alimentaire et nous assurer qu’ils reçoivent un prix juste pour leur travail.

 

LSA – Avez-vous eu le sentiment d’agir assez vite ?

CH – Dès ma deuxième semaine de mandat, j’ai présenté des propositions pour renforcer la position des agriculteurs dans la chaine alimentaire, notamment pour renforcer la coopération transfrontalière pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales. Ces travaux s’inscrivent dans le cadre plus large de notre feuille de route décrite dans la « Vision pour l’Agriculture et l’Alimentation ».  Je souhaite continuer à œuvrer pour un traitement équitable des agriculteurs dans la chaine, notamment en répondant à la question des agriculteurs qui sont contraints de vendre systématiquement en dessous de leurs coûts de production. Nous évaluerons soigneusement les options à notre disposition pour faire face aux nombreux défis tant en matière de substance qu’en matière de mise en oeuvre, en nous appuyant sur les contributions des parties prenantes et les expériences nationales. 

 

LSA – Si la révision est jugée urgente, pourquoi attendre fin 2026 alors que les pratiques déloyales persistent ?

CH – Je sais bien que certaines pratiques déloyales continuent et que l’attente peut sembler longue. Mais il est important d’avancer de manière responsable, en évaluant toutes les options et leur impact, y compris du point de vue de la charge administrative que cela pourrait représenter pour tous les acteurs. C’est un sujet complexe qui touche au cœur des relations commerciales. D’un côté, nous devons préserver le marché unique dans notre Union, et d’un autre, nous savons que notre territoire est très divers en ce qui concerne l’organisation de la chaine d’approvisionnement alimentaire. Agir dans l’urgence risquerait de ne pas être efficace ni juste.

 

LSA – Quelles seront vos toutes prochaines actions ?

CH – Nous lancerons prochainement un appel à contributions et une consultation publique. Début 2026, je présiderai personnellement un dialogue avec toutes les parties prenantes, et mes services organiseront des réunions de consultation pour s’assurer que toutes les voix soient entendues. L’objectif est de proposer des solutions qui soient à la fois réalisables, proportionnées et qui apportent une réelle valeur ajoutée aux agriculteurs, les organisations de producteurs et aux petits et moyens fournisseurs.

 

LSA – Estimez-vous qu’un consensus existe désormais sur l’extension du champ de la directive, demandée par six organisations françaises, soutenue par le Parlement et déjà appliquée par quatorze États membres ?

CH – Nous avons besoin d’un marché unique solide pour nos produits agricoles et alimentaires. C’est pourquoi nous allons examiner si une plus grande harmonisation des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales est nécessaire ou si le champ d’application doit être étendu ou pas. Mais créer une chaîne d’approvisionnement équitable ne nécessite pas forcément un catalogue de quarante interdictions. Nous analyserons de près l’expérience des États membres où le champ d’application de la Directive a déjà été élargi, afin de comprendre concrètement les effets sur les agriculteurs, les fournisseurs, les acheteurs et les autorités de contrôle, y compris dans les cas transfrontaliers. Au final, toute décision devra être réalisable sur le terrain. On ne part pas avec une idée toute faite, on veut trouver la meilleure solution possible.

 

LSA : Concernant le futur règlement sur la coopération entre autorités de contrôle : un accord rapide est-il possible entre Conseil et Parlement pour une adoption fin 2025 ? Quelle est la position de la Commission sur les amendements qui élargissent cette coopération ?

CH – Cette proposition est désormais entre les mains des colégislateurs. Sans commenter le fond des discussions interinstitutionnelles en cours, la Commission souhaite que le Parlement et le Conseil parvienne à un accord d’ici fin 2025 et les soutiendra pour ce faire. L’essentiel est de maintenir un instrument qui puisse faciliter la coopération entre les autorités de contrôle, en évitant toute complexité inutile. Je souhaite que cette coopération produise des résultats concrets pour les agriculteurs et les fournisseurs dans les cas transfrontaliers.

 

LSA – Quelle est votre position sur la compatibilité des lois Égalim avec le marché intérieur, comme l’ont soulevé certains eurodéputés allemands ? La Commission envisage-t-elle de s’impliquer sur ce sujet ?

CH – La Commission a reçu des plaintes concernant la loi Egalim relatives à certaines de ses dispositions en matière de négociations commerciales, mettant en cause son application en tant que « loi de police ». Nous comprenons que, dès lors que des produits négociés sont vendus sur son territoire, la France considère qu’Egalim s’applique même lorsque l’alliance européenne de distribution est établie dans un autre État membre. La Commission examine actuellement ces plaintes et je ne peux pas commenter cet examen à ce stade.

 

LSA : Enfin, au-delà de l’agroalimentaire, certains pays appliquent déjà la directive à d’autres biens de grande consommation (cosmétiques, détergents, piles, etc.). Des discussions sont-elles en cours avec le commissaire au marché intérieur sur une possible extension sectorielle ?

CH – La directive sur les pratiques commerciales déloyales (PCD) repose sur une base juridique agricole et poursuit un objectif très spécifique : protéger les agriculteurs et les fournisseurs de petite et moyenne taille du secteur agro- alimentaire contre les acheteurs lorsqu’ils sont plus puissants. Cela tient aux caractéristiques de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. Je suis conscient que, dans certains États membres, des règles PCD s’appliquent également aux produits non alimentaires. À ce stade, nous ne voyons pas la nécessité d’une telle extension au niveau communautaire, les conditions de marché étant très différentes. Par exemple, l’une des pratiques commerciales déloyales les plus fréquentes, le retard de paiement, est déjà couvert pour les autres secteurs par la directive sur les retards de paiement. Il est inutile de créer une mille-feuille administrative. Concentrons-nous déjà à mettre en œuvre correctement les règles existantes.